16 mars 2006

Jour 231 - Llullaillaco - S 24.71930º W 68.53607º

Guillaume : "Je crois que j'vais y aller seul... j'fais chauffer de l'eau ".

Shit ! Depuis le temps qu'on l'attend ce moment. Les idées de bousculent mais le froid qui rentre dans la tente ouverte semble ralentir le flux des pensées et remettre un semblant de cohérence dans tout ça.
Je décide de m'habiller. Hors de question d'abandonner sans avoir essayé, même si je ne dois faire que 20m.
Du coup le départ n'est pas aussi "carré" que d'habitude :
- Dans la nuit j'ai bu une bonne partie de l'eau réservée à l'ascencion. Il reste un demi litre pour 6 à 10 heures de marche.
- Ne voulant pas retarder Guillaume, je ne prends pas le temps de manger et m'enfile juste un thé sucré.
- A 2 reprises j'oublie mes guants... ça promet !

5h. Finalement c'est parti. Doucement dans cette première portion de caillasse.
C'est la pleine lune et la lumière fantasmagorique nous dispense d'utiliser les frontales. Le froid me réveille, le mal de crâne s'estompe et les jambes répondent parfaitement. Cela fait 100m que nous sommes partis, je me sens immensément mieux que dans la tente... dents serrées dérrière un sourire en coin, c'est un certitude : aujourd'hui j'atteinds le sommet.

Nous atteignons la neige. Crampons.
La pente est de 45/50º, le rythme lent nous permet cependant de gagner rapidement de l'altitude.
Chacun sa technique. Guillaume préfère de courts assauts de 10-15m avant de s'arc-boutter sur ses batons, la bouche grande ouverte cherchant déserpérément l'air comme un carpe échouée. De mon côté, je préfère la technique "déambulateur" (comme ça !) : 5 à 10 minutes sans m'arrêter, mais lentement. Le baton marque le rythme : avant de déplacer un pied, je le plante dans la neige 20 à 30 cm plus loin. Je poursuis comme un métronome, l'échine pliée, conscient qu'il en reste quelques dizaines de milliers... des centimètres !
7h30. Près de 3 heures qu'on s'essoufle. Guillaume commence à douter de ses capacités, il ne sent plus ses orteils... moi non plus, mais ça fait un moment que je n'ai plus de doute : avec ou sans orteils... aujourd'hui on tape les 6700m !
9h. 6100m. La pente est beaucoup moins prononcée et devant nous se trouve le "portezuelo", un col à 6500m entre 2 faux sommets. Encore 4 heures à ramper et le sommet est à nous.
Pas de l'avis de Guillaume. Bien que l'ayant convaincu de monter plus loin qu'il n'aurait voulu, cette fois c'est la fin. A 6450m, la mort dans l'âme, après m'avoir supplié de faire très attention, Guillaume redescend, non sans me laisser ses 2 litres de flotte.
Avec une détermination et une confiance qui rétrospectivement me font peur, je repars sans me retourner.
9h30. Portezuelo. J'ôte les crampons et commence à escalader les 200 derniers mètres de blocs d'andésite en équilibre. Mon déplacement me fait penser au pas hésitant du caméléon, vacillant avant de poser le pied.
J'arrive finalement au pied de cette énorme pierre que j'avais en point de mire depuis 20 minutes. Désespoir, il reste encore au moins la même distance à parcourir... dur !
Ce n'est cependant pas encore la fin. Je refuse de sortir le GPS afin de contrôler l'altitude. Cette montagne ne semble jamais finir, mais ce n'est certainement pas là que je vais faire demi-tour. J'ai promis à Guillaume de rebrousser chemin à 13h quoi qu'il arrive, ou que je sois.
Je rechausse les crampons pour parcourir quelques dizaines de mètres et finalement, au détour d'un rocher, je vois pour la première fois le sommet.
Le sais qu'il s'agit du but ultime, une plateforme sur laquelle des pierres semblent avoir été disposée par l'homme : "l'altar", l'autel de cérémonie des incas, le lieu ou ils ont sacrifiés 3 enfants il y a plus de 500 ans, le site archéologique le plus haut de la planéte (à ce jour).
11h30, plus d'obstacle, je prends mon temps, je savoure ces derniers mètres qui me sépare de ce qui sera sûrement le point le plus haut du voyage. 6730 mètres et 40% de l'oxygéne disponible au niveau de la mer.
Impressionné par le site, lentement, quasi religieusement, je marche entre les ruines discrètes, prenant involontairement garde à ne déplacer aucune pierre jusqu'à arriver à l'emplacement des tombes.
Il y a là des bouts de bois, exposés au soleil Inca depuis un demi millénaire, et entre les pierres je distingue un tesson de poterie... le plus haut de la planète ! J'hésite. Plusieurs expéditions archéologiques se sont déja succédées ici et ont emportées tous les objets de valeurs. Cet insignifiant morceau de terre cuite finira à Paris, trophée sans prix, inestimable.
Je me sens étrangement bien, respirant sans peine, les idées claires, mais je n'ai pas envie de redescendre. La vue est somptueuse, de part et d'autre de la frontière argentino-chilienne, salars et volcans se succèdent à perte de vue, déclinant à l'infini une incroyable palette d'ocres, de jaunes et de rouges sur fond de ciel immaculé. Vidéo 360º... ici

Bon, c'est bien beau tout ça, mais il reste rien de moins que 2000m de dénivelé négatif à se farcir, et c'est pas comme si je venais de me lever en pleine forme !
Rétrospectivement, je ne sais pas ce qui aura été le plus pénible ou le plus exténuant.
En milieu de journée la neige a fondue et s'accumule sous les crampons. Cette adhérence précaire, conjugée à des jambes de moins en moins fortes et réactives m'épuise. Je me laisse entrainer par la pente, trébuche, m'enfonce jusqu'aux genoux manquant de me briser une patte avant de me résigner à faire une pause et de reprendre des forces.
Finalement, je rejoins Guillaume à 15h. Nous remballons les affaires et commençons à descendre doucement vers la voiture... encore 1000m !
Cette fois ci Guillaume me distance de 20 bonnes minutes, me laissant traîner des pieds dans la poussière comme un zombi.
18h, nous sommes de retour au refuge. Un thé et un peu de salade de fruit, c'est tout ce que nous pouvons avaler avant de nous coucher pour 12h de sommeil très, mais alors très, profond !

Bonus : la gueule d'un mec qui en bave à 6700m !...ici

1 commentaire:

Jn a dit…

Chapeau!
Et un sommet de plus...
Je m'etais tjrs demande a quoi ressemblait la vue depuis la haut. Le paysage est a couper le souffle!